Hierotext Blog - Le repose-tête en verre de Toutankhamon

Image extraite du Papyrus d'Any, magnifiquement présenté dans l'ouvrage présenté ci-dessous.

Le repose-tête en verre de Toutankhamon




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Le repose-tête en verre de Toutankhamon


catégorie Epigraphie - objets
03 avril 2017
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Repose-tête de Toutankhamon. Verre bleu cobalt. Nouvel Empire XVIIIe dynastie. Annexe de la tombe de Toutankhamon. TR 2.3.60.1. H. 17,5 cm, L. 28,3 cm. Musée du Caire


nfr nTr anx nb tA tA nb iri x t ra xpr .w nb di anx mi ra Z1 D t nfr nTr anx nb tA tA nb iri x t x xpr w nb

Présentation

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Ce document fait partie de la multitude d’objets découverts par Howard Carter quand il ouvrit en novembre 1922 la tombe inviolée de Toutankhamon (treizième pharaon de la XVIIIe dynastie, Nouvel Empire, vers 1340 av. J.-C.).

Lecture des hiéroglyphiques

Sur le repose tête est peint une inscription qui se lit de droite à gauche et de haut en bas :


 


anx nTr nfr nb tA.wj nb jrt x(.t) nb xpr.w ra dj(=w) anx mj ra D.t

« Que vive le dieu parfait, le maître du double pays, le maître de faire le rituel, Toutankhamon (Rê est le maître des transformations), qu’il soit doté de vie comme Rê éternellement ».



Analyse grammaticale. Les références correspondent aux points grammaticaux développés dans la méthode Hierotext d’apprentissage des hiéroglyphes proposée sur ce site.


Facsimile de l'inscripion sur le chevet

anx nTr , « Que vive le dieu » : forme sDm=f sens subjonctif exprimant le souhait (cf.1.4).

nTr nfr, « le dieu parfait » : construction de l’adjectif : substantif + adjectif (cf.1.2).

nb tA.wj, « le maître du double pays » : nb est le substantif « maître, seigneur » et non l’adjectif indéfini « tous, chacun » qui se place derrière le substantif. Les deux représentations de la bande de terre forme le duel (cf.1.1) : « les deux terres / le double pays ».

nb jrt x(.t), « le maître de faire les rites / le maître du rituel » : jrt est l’infinitif (cf.1.10) du verbe jrj, « faire ». Derrière, le substantif x(.t) a un sens large de « chose ». L’expression jrj x.t est traduite aujourd’hui par « accomplir des rites » (An. Lex.77.0432 ; Hannig p.98). Mais on trouve toujours des traductions qui suivent le Faulkner « Lord of action ». Le Wörterbuch se contentait d’un « Titel des Köenigs » ce qui montre la difficulté à saisir le sens de cette expression qui apparaît pour la première fois sous Sahouré, deuxième pharaon de la Ve dynastie v. 2 400 av.J.-C. (An. Lex.77.0432).

nb xpr.w ra, « Rê est le maître des transformations » : ce nom de Toutankhamon est traduit de plusieurs façons car le sens n’est pas évident. Ce qui est certain c’est que le nom du dieu ra est en antéposition honorifique. Le mot xpr.w désigne l’idée de « transformation, devenir, étapes du développement ». La traduction proposée ici suit la lecture de M. Dessoudaix avec une phrase nominale A-B (cf.3.3) [A : nb xpr.w ; B : ra ].

dj(=w) anx, « qu’il soit doté de vie » : dj(=w) est un pseudoparticipe exprimant le souhait. (cf.17.2). On peut être certain qu’il s’agit d’un pseudoparticipe grâce aux titulatures des pharaonnes qui écrivent dj=tj anx. Par contre tout le monde ne lui accorde pas le sens d’expression de souhait. On trouve aussi la traduction : « Toutankhamon (étant) doué de vie comme Rê éternellement ». Il s’agit alors du sens classique du pseudoparticipe qui exprime l’état dans lequel se trouve le sujet (cf.1.8).

mj ra D.t, « comme Rê éternellement » : complément prépositionnel.


Quelques curiosités.

Le texte écrit en hiéroglyphes présente quelques étrangetés dans l’écriture.

- Les signes tA, « pays », ont leurs trois petits points au-dessus : . C’est vraiment très inhabituel. La configuration normale est de les placer en dessous .

- Le , nb jr.t x(.t) est également curieux. Si on suit l’ordre de lecture normale, c’est bien le t de x(.t) qui est omis. Cette écriture est rare ; je n’en ai pas trouvé l’équivalent au cours d’un dépouillement d’une partie très partiel des Urkunden IV. Le plus habituellement on le voit écrit , nb jr(.t) x.t (Urk. IV,1550 ; 1559 ; 1562 ; 1567 ; 1612). Il n’est pas fréquent que les deux t soient représentés :  , mais heureusement cela arrive, ce qui nous permet d’être assurés de la forme développée (Urk. IV 1566 ; 1567).

- Enfin, l’écriture , mj ra D.t : « comme Rê éternellement » n’est pas habituelle non plus puisqu’elle ne respecte l’antéposition honorifique pour le nom du dieu. L’écriture normale de cette expression s’écrit  mais se translittère toujours mj ra D.t .


Aucune de ces anomalies n’est en soit révélatrice de quoique ce soit. Elles peuvent toutes se rencontrer occasionnellement. Par contre il est vraiment surprenant de voir toutes ces écritures inhabituelles concentrées sur un si petit texte.

Une première option est de penser à un recopiage en miroir ou sur un document original inversé, ce qui pourrait expliquer les inversions pour jrt x.t et l’antéposition honorifique de mj ra D.t. Mais cette explication ne résous pas vraiment l’écriture des tA avec les petits points au-dessus.

Une seconde possibilité serait d’y voir le travail d’un scribe peu habile ou encore d’un simple recopiant ne connaissant pas les hiéroglyphes. Cela reste curieux pour une œuvre de luxe destinée au pharaon lui-même. A moins que les objets ne fussent réalisés à la hâte pour remplir la tombe d’un pharaon mort trop jeune ?


Formulaire de titulature dans la tombe de Toutankhamon

L’image jointe ci-contre montre un formulaire écrit d’une façon plus habituelle respectant les codes d’écriture habituels. Ce relief vient du mur nord de chambre funéraire de la tombe KV-62 de Toutankhamon dans la vallée des rois. Il s’agit du mur derrière lequel se trouverait selon Nicholas Reeves la chambre funéraire de la reine Nefertiti.

Les cartouches représentés correspondent à Ay, le successeur de Toutankhamon et avant-dernier pharaon de la XVIIIe dynastie, représenté ici en train de procéder au rituel d’ouvrir la bouche.

L’artisanat du verre

Les campagnes de Thoutmosis III

L’artisanat du verre semble provenir directement de Mésopotamie. En effet la présence d’objets en verre apparaît soudainement sous le règne de Thoutmosis III (sixième pharaon de la XVIIIe dynastie, Nouvel Empire, vers 1500-1450 av. J.-C.) , avec un niveau de maîtrise remarquable dans cet art. On suppose donc que Thoutmosis aurait ramené de ses campagnes en Syrie et au Levant des maîtres artisans comme part du tribut. Les techniques de fabrication utilisées sont le moulage ou bien le travail de la pâte de verre molle. La technique du soufflage n’apparaît que très tardivement vers 50 av. J.-C. Les principaux composants du verre sont :

- la silice à 70% : il s’agit concrètement de sable.

- la soude, un oxyde alcalin qui sert de fondant : il permet de diminuer la température de fusion de la silice de 1730°C à 1400°C ce qui facilite grandement le travail. La soude pouvait être obtenue à partir de natron.

- la chaux, un oxyde alcalino-terreux qui sert de stabilisant : l’objectif est d’augmenter la résistance des liaisons chimiques et donc la dureté du verre. On utilise la soude.

- des oxydes métalliques comme colorant : ils sont ajoutés pendant la fusion. Pour notre chevet, c’est le cobalt qui lui donne sa couleur bleue.

La recherche n’a pas encore permis de trancher si les Egyptiens fabriquaient leur verre directement à partir de la matière première ou s’ils importaient des lingots de verre en provenance de Mésopotamie. Il est cependant évident qu’en Egypte pharaonique l’artisanat du verre est hautement spécialisé, limitée à des ateliers royaux, et les productions en verre considérées comme des produits de luxe.

Le repose-tête

Le repose-tête est un accessoire des plus répandus en Egypte antique. A notre regard il apparaît comme étrange qu’un tel objet puisse présenter assez de confort pour permettre de s’endormir. Le repose-tête s'utilise dans une position allongée sur le côté. La tête se retrouve alors rehaussée à cause de la présence de l’épaule et le repose tête permet alors de combler cet espace vide. Bien que les Egyptiens connaissaient les coussins qui sont utilisés sur les chaises, ils ne semblent pas avoir ressenti le besoin d’adapter le concept pour inventer l’oreiller. Cependant, le chevet était bien au quotidien recouvert d’un coussinet en lin.

Ce repose-tête en particulier n’est probablement pas un objet de la vie quotidienne. En effet, construit en verre, il est beaucoup trop fragile, voire dangereux. Les exemplaires destinés à un véritable usage sont fait de bois.

Amulette du Nouvel Empire, Jones Hopkins Archeological Museum

Le repose-tête a donc également une valeur symbolique justifiant sa présence dans la tombe. D’ailleurs on le retrouve sous forme d’amulettes insérées dans les bandelettes de momies à partir de la Troisième Période Intermédiaire (1070-660 av. J.-C.). L’objet de ces amulettes est de servir d’artefact de substitution de l’objet réel afin de servir le défunt dans l’au-delà. (source de l'image ci-contre)


Le Chapitre 166 du Livre des Morts nous permet de percevoir la symbolique que revêt le repose-tête. Il entre dans la conception de la vie après la mort et en particulier de l’intégrité du corps : le chevet soutient la tête qui ne doit pas être séparée du reste du corps.

La ligne a. suit le papyrus d’Any, et les suivantes suivent le papyrus de Nebseni (dont le texte est moins corrompu) selon la transcription de W. Budge.


Formule de l'appuie-tête, papyrus d'Any

a. 

b. 

c. 

d. 

[…]

e. 

f. 


a. r(A) n(j) wrs ddw Xr tp wsjr Any mAa-xrw

b. srs tw mn.wt sDr=tj

c. srs=sn tp=k r Ax.t

d. Ts tw mAa-xrw=k Hr jry.t r=k

e. n(j) nHm=tw tp=k m a=k m-x.t

f. n(j) nHm=tw tp=k m a{=r} n nHH


a. Formule de l’appui-tête qui est placé sous la tête de l’Osiris Any, juste de voix :

b. Puissent les pigeons t’éveiller alors que tu es endormi.

c. Puissent-ils éveiller ta tête vers l’horizon.

d. Dresse-toi afin que ta voix soit rendue juste à propos de ce qui a été fait contre toi

e. Ta tête ne sera pas enlevée de ta possession à l’avenir,

f. Ta tête ne sera pas enlevée de {ta} possession pour l’éternité.


Analyse grammaticale. Les références correspondent aux points grammaticaux développés dans la méthode Hierotext d’apprentissage des hiéroglyphes proposée sur ce site.


a.

ddw : participe imperfectif (cf.4.6 + p.175)


b.

srs tw mn.wt : srs est à la forme sDm=f sens subjonctif (cf.1.4) . mn.wt est le sujet. tw est le pronom dépendant (cf.2.7) qui sert de COD.

sDr=tj : un pseudoparticipe qui sert d’élément circonstanciel (cf.2.2).


c.

srs=sn : srs est à la forme sDm=f sens subjonctif (cf.1.4) .


d.

Ts tw : est un impératif (cf.3.1) suivi du COD sous la forme d’un pronom dépendant (cf.2.7)

mAa xrw=k : je considère ici mAa comme signifiant « être juste, être rendu juste » à la forme sDm=f sens subjonctif (cf.1.4). La traduction par « afin que » vient du fait de la position de la proposition dans la phrase qui en fait une finale consécutive : « Dresse-toi que ta voix soit rendue juste » --> « Dresse-toi afin que ta voix soit rendue juste».

jry.t : est un participe perfectif (cf.4.6) utilisé comme un nom au neutre passif (cf.8.3) « ce qui a été fait ».


e. f.

n(j) : est une négation archaïsante du futur nj sDm=f (cf.17.1).

nHm=tw tp=k : est une construction passive de la forme sDm=f avec le pronom impersonnel =tw (cf.3.5). On peut le traduire au passif : « ta tête sera enlevée », ou à l’actif : « on enlèvera ta tête ».

Sources

Budge, Wallis, The Book of the Dead, 1895.

Duffy, Jan Summers, «A Wood Pillow for His Head: The Headrests from the Tomb of Tutankhamun (KV-62). », Ancient Egypt Magazine 9:6. 50.

Faulkner, R., Goelet, O., The Egyptian Book of the Dead being the papyrus of Ani, Chronicle books, 1998.

Faulkner, Raymond O., A concise dictionary of Middle Egyptian, Griffith Institute, Oxford, 2002.

Hawass, Zahi, Le trésor de Toutankhamon, Imprimerie nationale Editions, Paris, 2008, p.264.

Hannig Rainer, Grosses Handwörterbuch Agyptisch-Deutsch, Mainz : von Zabern, 1995.

Maruéjol, Florence, Thoutmosis IIII, Pygmalion, 2014.

Peck, William H., The material world of ancient Egypt, Cambridge University Press, 2013, p.89.

Rossi, Corinna, « Science and Technology : pharaonic », dans Lloyd, Alan B., a companion to Ancient Egypt, Blackwell, 2014.

Shortland, Andrew, Depictions of Glass Vessels in Two Theban Tombs and Their Role in the Dating of Early Glass, JEA 86 (2000), pp.159-161.


http://archaeologicalmuseum.jhu.edu/the-collection/object-stories/ancient-egyptian-amulets/headrest/

http://culturalinstitute.britishmuseum.org

https://www.famsf.org/blog/mummy-bay-irethorrou-egyptian-priest-early-persian-period

http://www.infovitrail.com/index.php/fr/le-verre/301-la-composition-du-verre

https://fr.wikipedia.org/wiki/Appuis-tête_dans_l'Égypte_antique

https://fr.wikipedia.org/wiki/Verre






Commentaires




Étienne Rémy - le 04 avril 2017

Merci Paul!

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Djoser63 - le 06 avril 2017

Excellent Paul!

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Jeannick MARDELLI - le 06 décembre 2020

Lecture très enrichissante. Merci

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